Susan Sontag, Les « Happenings», art des confrontations radicales, 1962
(Extrait)
Une forme nouvelle de spectacle, de caractère encore ésotérique, a fait récemment son apparition à New York. Il s’agit, à première vue, d’un composé de présentation artistique et de représentation théâtrale, qui a reçu ce nom modeste et quelque peu ironique de « Happenings » ( choses qui arrivent ). La présentation a lieu dans des ateliers, des galeries de peinture, des arrière-cours, de petites salles de spectacle, et le nombre des spectateurs varie, en moyenne, de trente à une centaine de personnes. Pour décrire un « Happening », à l’intention de ceux qui n’en ont jamais vu, mieux vaut procéder d’une manière négative, en insistant sur ce qu’il n’est pas. Le « Happening » ne se déroule pas sur une scène conventionnelle, mais dans un emplacement étroit, tout encombré d’objets, et que l’on peut créer, utiliser, aménager, ou approprier à toutes fins utiles. Dans ce cadre, un certain nombre de participants – ce ne sont pas des acteurs – se déplacent et gesticulent, se livrent à une sorte de cacophonie concertée, en maniant divers objets, accompagnée ( parfois ) de paroles, de cris, de sons d’instruments de musique, de jeux de lumière et d’émissions de bouffées odorantes. Le « Happening » ne comporte pas d’intrigue, bien qu’il y ait une action, ou plutôt une série d’actes et d’événements. On y évite en outre l’utilisation du discours sous sa · forme logique, mais on peut y entendre des expressions comme « Au secours! » « Voglio un bicchiere di acqua », « Aime-moi », « La voiture », « Un, deux, trois … » Le langage est simplifié, condensé par brusques oppositions ( les mots que l’on est absolument contraint de prononcer ) et qui tombent dans le vide, du fait qu’il n’y a pas d’entente entre les interprètes du « Happening ».
Susan Sontag, 1962
Texte complet in L’œuvre parle, éditions Christian Bourgois, Paris, 2010, pp. 401-420 – site de l’éditeur